Blockchains publiques et privées

in #fr3 years ago (edited)

Ceci est le matériel de cours pour les étudiants en Master 2 "Mathématiques, Finance Computationnelle et Actuariat" (M2FCA) de l'Université de Lille (promotion 2021)

L'objectif du cours: "être opérationnel dans le monde des blockchains".

Agenda

  1. MFCA et technologie blockchain
    -- Mise en contexte et perspective
    -- Pourquoi la technologie blockchain
    -- L'intervenant
  2. Aspects fonctionnels des blockchains
  3. Aspects techniques et d'architecture informatique
  4. Gouvernance des systèmes blockchains
    -- Gouvernance dans les blockchains publiques
    -- Gouvernance dans les blockchains privées
  5. Applications des blockchains publiques et privées
  6. Exercice pratique

MFCA

L'objectif du Master "Mathématiques, finance computationnelle et acturiat" est de former des cadres dans le secteur de l'assurance, de la banque de détail, de la banque d'investissement et aussi en salle de marché. Les spécialisations se font en quantification et maîtrise des divers risques financiers, de l'automatisation des tâches, etc. Les compétences informatiques sont des atouts pour les emplois visés.

L'objectif du cours est d'apporter aux étudiants des perspectives nouvelles sur les horizons d'emplois, de les aider à intégrer des aspects nouveaux et complémentaires sur la technologies "blockchain" et de renforcer les bases permettant de prendre en compte l'innovation blockchain dans leur métier futur.

Pourquoi la technologie blockchain en M2FCA ?

Voici quelques pistes:

  1. Les cryptoactifs comme nouvelle classe d'actifs financiers
  2. L'innovation et les nouvelles entreprises qui se créeront autour de cette technologie

Une exploration multidimensionnelle se justifie:

  • la technologie blockchain revêt des aspects sociétaux et politiques
  • elle questionne la loi
  • elle demande à ce que l'on réfléchisse à nouveau sur l'argent et le crédit
  • les systèmes blockchain sont des systèmes informatiques d'un nouveau genre.

Présentation de l'intervenant: de la Roumanie au Luxembourg après une décennie passée en France. Etudes de biologie moléculaire et informatique. Expériences professionnelles dans la recherche, le conseil, la banque et le secteur publique européen.

A quelques mois de la fin des études, cette intervention tâche aussi de vous apporter des informations utiles pour un premier emploi.

Quelques mots sur les possibles emplois pour des diplômés du master MFCA dans:

  • les Institutions Européennes
  • l'industrie financière bancaire au Luxembourg
  • les start-ups de l'écosystème luxembourgeois

Aspects fonctionnels des blockchains

Les blockchains sont avant tout des programmes informatiques. Tout programme est conçu pour exercer une fonction:

  • Bitcoin: "a peer-to-peer electronic cash system"
  • Ethereum: "the computer of the world".

Le mot "blockchain" est utilisé de manière souple, il ne faut pas se laisser tromper. Lors de l'analyse, il est recommandé de se focaliser sur:

  • quel problème le programme informatique cherche à résoudre ?
  • comment est-ce que la solutions est implémentée ?

Dès lors, s'affranchir de l'étiquette "blockchain"

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L'aventure "blockchain" a commencé avec la "révolte virtuelle" du personnage appelé "Satoshi Nakamoto" ainsi que d'autres "cypherpunks" contre l'impunité des grands banquiers vus comme responsables de la crise financière de 2007-2009.

Bitcoin: une solution informatique innovante pouvant remplir les fonctions de l'argent:

  • objets de données uniques: des "résultats de transaction non-dépensés" (UTxO), assimilables à des billets de banque d'une dénomination arbitraire, au choix de l'utilisateur
  • peuvent être gagnés en échange de "travail" (l'objectif de Satoshi était que tout utilisateur puisse en gagner en "minant" avec son ordinateur à la maison)
  • peuvent être transférés de manière unique et non-équivoque à un autre utilisateur (possiblement en échange de biens et / ou de services)
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Resté relativement inconnu pendant les premières années, Bitcoin rentre dans la conscience de masse aux environs de 2011, lorsque le réputé magazine "The Economist" lui dédie un article. Dans son analyse, l'ingénuité technique est reconnue mais le résultat paraît aux auteurs une forme d'argent plutôt rudimentaire.
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Aspects fonctionnels de bitcoin

Le créateur pseudonyme Satoshi Nakamoto voulait créer une "unité de compte" qui puisse servir de "moyen d'échange" et de "réserve de valeur" - remplissant ainsi les principales fonctions de l'argent.

La première difficulté lorsqu'il s'agit d'objets de données est celle de la facilité de reproduction. Dans le monde physique, les autorités d'émission dépensent beaucoup d'efforts pour rendre la duplication des billets de banque quasi impossible. En revanche, un objet de données peut généralement être dupliqué facilement et sans coût. Si on en fait donc de "l'argent", nous sommes face au problème de la "double dépense" car la copie d'un objet de données ne peut pas être distinguée de l'original.

De plus, Satoshi voulait que cet "argent" électronique n'appartienne pas à une puissance centrale, qu'il soit une unité de compte "entre pairs". Connaissant l'historique des tentatives précédentes, il voulait également que bitcoin ne puisse pas être détruit par une puissance hostile ("résistance à la censure"). enfin, pour qu'il puisse remplir sa fonction, bitcoin devait pouvoir être gagné et, dès lors, utilisé par tout un chacun muni d'un ordinateur et d'une connexion internet. Il a donc choisi une implémentation répondant à ces besoins fonctionnels. Seulement plus tard on a accolé à cette implémentation l'étiquette "blockchain".

Aspects fonctionnels d'Ethereum

La blockchain Ethereum ajoute au transfert d'un "actif cryptographique" (ou "cryptoactif") - appellé ici "ether", une "machine virtuelle", appelée EVM, qui peut exécuter des programmes. L'EVM s'exécute sur chacun des nœuds du réseau. Ethereum ajoute ainsi une fonctionnalité supplémentaire, le "calcul de nécessitant pas la confiance" ("trustless computation"). Ces programmes portent le nom très inspiré de "smart contracts". Pour comptabiliser le coût du calcul il y a une ressource interne dédié, le « gas » dont le prix en ether varie automatiquement en fonction de la demande pour maintenir la cadence des blocs.

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Comme bitcoin, qui ne peut désormais plus être gagné par un amateur puisque le "minage" est bien plus efficient dans des "fermes" centralisées, ethereum aussi n'a pas réussi à tenir sa promesse d'offrir l'accès à l'argent numérique à tout un chacun car aujourd'hui on ne peut plus en gagner sans un investissement important en matériel de calcul spécialisé. Pour avoir donc accès aux services d'ethereum, il faut commencer par dépenser de l'argent pour acheter de l'ether.

Fonctionnalités avancées: les blockchains steem et hive

La différence fondamentale entre les premières blockchains comme bitcoin, ethereum et les blockchains plus avancées comme steem et hive est qu'il y a plusieurs façons de gagner le cryptoactif, au moins une ne nécessitant pas d'investissement en capital. Pour steem et hive il s'agit de fonctionnalités de blogging: les utilisateurs peuvent créer du contenu comme sur les plateformes de média sociaux. Si d'autres utilisateurs apprécient le contenu, ils peuvent diriger une partie du "budget commun" de la communauté vers l'auteur.

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La "cryptoéconomie"

Sept ans après sont premier article dédié au bitcoin, "rudimentaire en tant qu'argent", le prestigieux hebdomadaire britannique "The Economist" consacre un dossier spécial à l'essor des systèmes blockchain et aux défis qu'ils lancent à l'économie classique. The Economist appelle les communautés où les interactions économiques sont supportées par une blockchain des "crypto-coopératives". Il observe que steem (précurseur de hive) est le modèle crypto-économique fonctionnel le plus élaboré.

Aspects techniques et d'architecture informatique

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En analysant, on se rend compte que le sens du qualificatif "public" devient ambigu:

  • est-ce que la participation au réseau (couche infrastructure) est ouverte au public?
  • est-ce que l'accès aux données est publique?

Gouvernance des systèmes blockchain

Dans la société, le cadre de prise de décision est "la loi". L'acteur central auquel s'applique "la loi" est la "personne morale" (une personne physique ou une organisation). Les systèmes blockchain "publiques, sans permissions" défient ce paradigme:

  • les utilisateurs sont anonymes à dessein - il n'y a pas de personne morale identifiée derrière une transaction, il est donc difficile d'attribuer la responsabilité
  • les décisions opérationnelles (prochain "bloc de données") sont prises grâce au mécanisme de consensus:
    -- "proof of work" - celui qui a "travaillé" peut valider des blocs et obtient des récompenses
    -- "proof of stake" - celui qui a plus d'actifs "bloqués" peut valider des blocs et obtient des récompenses
    -- "proof of authority" - celui qui, pour des raisons externes, fait partie d'une sélection, peut valider des blocs.
  • pour les décisions non récurrentes, le paradigme proposé est "le code est la loi" ("Code is Law"). Ce paradigme est encore immature, comme a pu l'illustrer la mésaventure de "The DAO" en 2016. Cette mésaventure a inspiré des systèmes blockchain nouveaux comme Cardano et Tezos.

Gouvernance des systèmes blockchain privés

L'objectif des système blockchain privés est de rentrer dans le paradigme de "la loi". Si dans les blockchains publiques on parle de "communauté" ou de "crypto-coopérative", dans les systèmes privés le concept passerelle est "le consortium" de personnes morales.

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Entre compagnies les transactions sont régies par des "contrats" (des objets du cadre légal). L'unité de compte naturelle est la monnaie officielle ("fiat money" dans le langage des communautés blockchain). A l'intérieur des compagnies, les transactions sont régies par des règles parfois explicites, souvent non-écrites, appelées "processus métier". Ces règles ne sont pas détaillées dans les contrats d'emploi des employés de la compagnie. Chaque "acteur" dans un processus métier fait confiance aux autres acteurs de faire ce que le processus métier attend d'eux. Partant, chaque compagnie représente un "domaine de confiance".

Les consortium blockchain créent des nouveaux "domaines de confiance" élargis, qui englobent plusieurs compagnies. Un certain sous-ensemble de transactions peuvent se dérouler selon un consensus "algorithmique", ce qui ouvre la possibilité de moins de "friction" dans les transactions: donc plus de transactions, à un plus faible coût.

Cependant, la compétition est "dans l'ADN" des compagnies - elles sont structurellement peu inclines à collaborer - d'autant plus que si la collaboration leur offre une position dominante, elles risquent de franchir la frontière des "ententes illicites" et des "cartels" qui sont punis par la loi.

Par ailleurs, il faut encore s'entendre à l'avance sur des mécanismes pour la prise de décision importantes, et la blockchain n'offre pas encore de réponses à ce niveau.

Applications des blockchains publiques

Applications financières

Dernièrement, Bitcoin gagne l'acceptation des milieux financiers traditionnels en tant que nouvelle classe d'actifs. On peut citer ici notamment une récente opinion des analystes de la banque JP Morgan qui estiment que les investisseurs peuvent allouer 1% de leurs portefeuilles à la détention de Bitcoin.

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Les analystes de Bloomberg, bien que pas très enthousiastes vis-à-vis des cryptomonnaies, ne peuvent que concourir

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De fait, un nombre croissant d'entreprises ont dirigé des proportions variables de leur trésorerie à l'achat de Bitcoin. L'exemple le plus notable est l'achat de Bitcoin pour 1,5 Mld de dollars par Tesla. Plus près de nous, le conglomérat norvégien Aker a créé très récemment une filiale dédiée au Bitcoin et aux cryptomonnaies, "Seetee AS"

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La "finance décentralisée" (DeFi)

Les entreprises actives dans le domaine de la "DeFi" tentent de recréer un écosystème financier parallèle, basé principalement sur la blockchain Ethereum publique. Le paradoxe est qu'en ce faisant, on observe une centralisation à un autre niveau: c'est la blockchain Ethereum elle-même qui devient le centre de ce nouveau système financier. Si le reproche qui est fait au système financier actuel est qu'il donne trop de pouvoir à ceux qui ont "des dollars" (ou autre "fiat money"), on peut dire que la DeFi donne le pouvoir à ceux qui ont de l'ether

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La DeFi souffre de problèmes structurels, fondamentaux:

  • une absence de responsabilité - car les acteurs sont anonymes
  • une absence de recours - si "le code est la loi", il n'y a rien pour remplacer les juges et les tribunaux
  • une absence de standardisation (intrinsèque à l'espace, qui met l'innovation avant tout) et, partant, de transparence.

Dans l'image ci-dessous, une transaction de type DeFi réelle (un "swap"): pour une valeur échangée autour de 44$, les frais de transaction (imprévisible car dépendant de la congestion du réseau et du prix du "gas") se sont élevées à 77$
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Pour que la finance "de pair à pair" prospère, elle doit être un service publique, une infrastructure non-compétitive, dont le coût est couvert par la communauté. Voici l'exemple steem et hive, le marché interne hive - hbd:

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Autres applications: jeux

Si les joueurs doivent payer des "frais de transaction", les seuls jeux auxquels ils vont jouer seront des jeux de chance qui offrent l'espoir de récupérer les coûts. En revanche, sans frais de transaction, les jeux peuvent remplacer leur "monnaie interne" avec une crypto-monnaie qui a de la valeur en dehors du jeu.

Voici deux exemple de l'écosystème hive:

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Autres applications: média sociaux

Le combustible de tout média social est la donnée. Si partager des données implique des frais de transaction, les utilisateurs seront frugaux avec leurs données, ce qui créera moins de valeur. Pour inciter les utilisateurs à partager des données, les média sociaux seront bien avisées à utiliser des blockchains sans frais de transaction.

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Applications des blockchains privées

L'exemple "European Financial Transparency Gateway" (EFTG):

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bonjour, votre article que je viens de découvrir est très intéressant et je pense qu'il serai très utiles pour les novices. (mon pouvoir de vote est actuellement faible, mais je continuerai de vous suivre et espère récompenser des posts de qualité comme le votre)

Merci @sorin.cristescu pour ce bel article qui complète très bien les parties plus techniques du cours que Santiago et moi donnons. Je reposte dans la communauté ULille blockchain.