Mon petit chat sauvage (Original French Novel)

in #story8 years ago (edited)


Toutes les femmes n’ont qu’une chose en tête, toutes. Et si elles vous disent le contraire, ne les croyez pas.
Les femmes aiment, même quand elles ont tort, même si elles ont mal.
Elles vivent pour l’amour, mangent, dorment, respirent et transpirent par amour.

Première histoire d'une série ... à lire en bottes de cuir.

Mon petit chat sauvage

Elle ne sait pas le temps que ça va durer. Devant la cuisinière au gaz que lui avait offert sa grand-mère, elle renifle abondamment.

A l’aube de l’aube, la cuisine sera bleue. Mais elle ne le sait pas encore.

Elle soulève la viande épaisse de son lit de frigolite froide. Elle sent monter en elle le goût du sang.

Sur le plan de travail en acier, un grand couteau de cuisine, aiguisé. Elle serre le manche dans la paume de sa main et griffe le plan de travail d’un trait.

Dans son tablier à fleurs, un lettre froissée. Une lettre volée.
Elle a toujours été une petite voleuse. Et alors ? Personne ne lui écrit d’aussi belles lettres. Personne. D’ailleurs personne ne lui écrit jamais.

Ça y est : elle pleure sur la viande froide. A sa manière, la vache aussi a dû pleurer lorsqu’elle a senti qu’elle allait devenir un carré frais, certifié de chez Carrefour. Peut-être pas ? Elle s’en fout. Ou elle voudrait s’en foutre.

Elle glisse un doigt dans le beurre ramolli par la douce chaleur de l’air. Glisse et re-glisse encore, un doigt, puis l’autre.
Puis, la main toute entière s’enfonce dans la douceur, molle, tiède, de la graisse.

Dehors la nuit noire ne parle pas encore des oiseaux de l’aube de l’aube… Demain.
Ce sera pour demain, les mots.

A propos de cette lettre ? Non. Cette lettre est à elle ; elle l’a trouvée, elle ne la lui donnera pas. Personne ne lui écrit jamais, personne.

La lettre dit :
« J’ai touché ta peau et j’ai compris que c’était moi que je touchais à travers toi. Que nos âmes étaient sœurs, et que nous avions vu naître le premier jour du monde ensemble. »

Le premier jour du monde, elle voudrait s’en foutre. Car le premier jour du monde, c’est lui. Ou « personne ».
Personne qui écrit des lettres d’amour, qu’elle froisse et re-froisse entre le beurre de ses doigts.

Maintenant, elle en a plein les mains, plein le tablier, plein les bottes.
Et elle replonge encore dans la motte de beurre… Comme l’enfant qui prend seul, à sa manière vorace, la nourriture que sa mère voudrait encore lui donner.

Elle goûte le beurre, salé, se lèche. Puis, elle s’en enduit le visage.
Elle croit devenir folle.

Devant la cuisinière au gaz que lui avait offert sa grand-mère, elle va devenir folle, comme sa grand-mère.

A présent, elle touche la lame du couteau… Son ventre se serre.

Il rentre.

Il ne lui demande pas ce qu’elle cuisine… Ni pourquoi le beurre sur son visage…
Il regarde sa tenue : déshabillé de nuit, sur bottes de cuir.

Il ne lui demande rien non plus à propos de ce bruit de papier froissé dans son tablier à fleurs, par-dessus le déshabillé…

Il approche d’elle, lui murmure tout bas, un sourire coquin : « Tu m’excites, petit chat sauvage ! »

Elle respire vite.
Elle soupire : « Il y a si longtemps… » Mais il ne l’écoute pas. Il approche…

La nuit entre en elle, de partout. Elle la sent chaude comme une douche en hiver.
Les fenêtres sont ouvertes, et le ciel si noir qu’il n’y a plus de ciel.

Elle saisit le couteau de cuisine posé sur le plan de travail, le fait à nouveau crisser sur l’acier. Elle se retourne et le regarde.

Il approche sans la toucher. Il est là.
Tout près. Il ne parle pas. Il se colle à elle.

Elle dit : « Il y a si longtemps. »

Pour toute réponse, il repousse sa main avec le couteau plus loin, et se colle encore, plus fort, contre elle.
Il la bouscule en avant.

Sa poitrine à lui se soulève, contre son dos à elle. Et voilà sa verge, tendue, qui contre elle remue… doucement…
Et ça fait des vagues, des vagues puissantes comme la mer.

Elle regarde le couteau aiguisé, qu’elle tient toujours en main devant elle...

Elle respire, fort. Fort comme un torrent de larmes et de cris.
Mais il n’en est rien, des larmes et des cris.

Il prend une grande inspiration en lui, comme s’il l’aspirait, elle.
Et elle se tait.

Puis, il vient de ses lèvres, sur elle, dans son cou. De sa langue, il reconnaît le goût du beurre. Elle brûle. Il la renifle, lèche le sel marin devenu fermier, sur sa joue.

Elle soulève la viande. La viande tiédie, dans la douce chaleur de la nuit.

Ses mains d’homme. Ses mains douces et fortes, sur ses fesses de femme.

Elle allume le gaz et flanque sur la poêle la motte de beurre, fondue et flasque comme une fille allongée depuis des heures au soleil.

Le beurre brunit, roussit, déjà.

Il va dire quelque chose.
Mais elle jette la viande qui hurle, se saisit, et aussitôt se consume, se racrapote.

La viande pleure. Et la lettre remue, à nouveau, contre son ventre chaud. Ce ventre qui a faim et qui réclame. Quelque chose de lourd et de profond. Quelque chose de bon. Qui la remplisse et qui soit animal.

Elle lâche le couteau.

La cuisine devient bleue. Comme les champignons du gorgonzola qu’il vient de sortir du frigo et qu’il déshabille de son cellophane.

Mais que brûle cette femme, lorsqu’elle se retourne et regarde cet homme, cette nuit noire ?
Ses yeux disent des mots. Mais ces mots s’envolent, dans la fumée noire de la viande qui s’oublie dans la poêle.

Son tablier, le beurre, son visage, ses mains et ses jambes : tout tremble.
Et il revient, maintenant, tout contre elle. Le ventre contre le ventre. Pour lui offrir le désir de son sexe tendu.

Là, elle le regarde dans les yeux, et sent monter l’émotion de l’amour. Alors elle lui demande, tremblante, presqu’agressive : « Tu m’aimes, dis ? »

Dans ses yeux à lui, il y a presque des larmes…

Et la voilà qui vibre, qui mouille, qui craque… Et la voilà qui glisse une main dans la poche du tablier jusqu’à ce bout de papier dont elle fait une boulette… qu’elle jettera au feu !

« Trou du cul ! » elle lui dit.
Et elle le tire à elle d’un coup sec, afin qu’il la pénètre.

Alors, il lui souffle dans l’oreille des mots doucement obscènes, des rires un peu grognons : « Petite peste ! Petite pute qui se refuse depuis… si longtemps !
Je t’aime, si tu savais… Je t’aime à la folie ! »

A l’aube de l’aube… Un homme prend une femme ou une femme prend un homme.
Sans plus mots dire. Alors que se consument, sur le feu, un steak et un gorgonzola, bleu.

Sur le plan de travail, derrière eux, un couteau oublié…

Dehors la nuit noire ne parle pas encore des oiseaux de l’aube de l’aube… Demain.
Ce sera pour demain, les mots.

Et après les mots, dis ? Le désir ? Brûlant ? Plus fort, encore… qu’avant ?

Pictures credits 1 (Raphaëlle Bouillon) / 2-3-4

Raphaelle


Comédienne et conteuse, animatrice d’ateliers philosophiques et d’écriture, je me passionne pour la question des relations humaines, leur complexité... et leurs paradoxes !

Retrouvez mon court roman, « Oublie-moi » paru aux éditions 7écrit en septembre 2016


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Super, enfin des nouvelles en Français. Vivement les suivantes !
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