Nos démocraties face aux Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC)

in #fr5 years ago (edited)

Si l’apathie démocratique est un mal qui touche de plus en plus nos sociétés occidentales, elle est accompagnée d’un développement rapide des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Depuis le début des années 1990, l’abstention aux élections en France a connu une augmentation significative, menant à de tristes mais révélateurs records ces dernières années. L’élection ayant le plus été délaissée étant le second tour des législatives de 2017 avec une abstention de 57.36% selon le ministère de l’Intérieur. Les élections européennes, bien qu’ayant toujours été les plus délaissées des scrutins en France, ont également connu une baisse du nombre de suffrages exprimés au fil des années pour atteindre seulement 42.43% de votants en 2014. Mais pis, lorsque l’on analyse plus en détails qui sont les votants, il en ressort que les 18-34 ans représentent la tranche d’âge la plus abstentionniste (1). C’est un phénomène qui est commun et à tous ces scrutins.

Or c’est cette même tranche d’âge qui est la plus fréquemment connectée à internet comme en témoigne l’étude « A Games of Phones » (2) menée par Deloitte en 2015 sur un échantillon de 2000 français âgés de 18 à 75 ans. Il est frappant de constater que 42% des 18-24 ans consultent plus de 25 fois leurs smartphones par jour, alors qu’en moyenne, seulement 24% de la population totale sondée (incluant ces mêmes 18-24 ans) consulte plus de 25 fois leurs smartphones chaque jour. Ces chiffres sont à relativiser car le progrès technologique aidant, l’adoption et l’utilisation des smartphones a très probablement évolué depuis 2015.

Dans les années 1990 et au début des années 2000 apparaît le terme NTIC, « nouvelles technologies de l’information et de la communication », pour caractériser certaines « nouvelles » technologies. Si la définition exacte des NTIC est toujours restée relativement floue, d’aucuns s’accordent à considérer qu’il s’agit des outils et techniques utilisées pour le traitement et l’échange d’informations (télécommunications, informatique, multimédias, câbles, internet ...). Néanmoins, certains préfèrent utiliser simplement le sigle TIC, en omettant volontairement la mention « nouvelles ». Le périmètre des technologies dites « nouvelles » étant mal défini et les évolutions du secteur trop rapides, une innovation peut être obsolète une décennie après sa découverte.

« S'il ne fallait retenir qu'une vertu des Technologies de l'Information et de la Communication ce serait celle-ci : la possibilité d'offrir à chacun une tribune, un espace de liberté, d'expression » estime André Santini, l’actuel Vice-président du Grand Paris chargé de la stratégie économique. Cet avis, discutable sur plusieurs points, met en exergue le rôle qu’ont joué les NTIC dans le débat politique entre autres. Quoi qu’il en soit, ces nouvelles technologies ont permis bon nombre d’évolutions dans les interactions entre citoyens (AirBnB, BlaBlaCar...), dans leur manière de consommer (développement du e-commerce, LeBonCoin...), dans leur manière d’interagir avec l’enseignement supérieur (ParcourSup), mais également avec les administrations (déclarations d’impôts en ligne) ou avec leur employeur.

En quelques années nos sociétés ont profondément évolué, mais alors que les nouvelles technologies font rarement l'objet d'un débat démocratique, quel impact potentiel peuvent-elles avoir sur nos démocraties modernes ?

« Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ».

Le sens de ce célèbre adage a parfois du mal à être compris par les utilisateurs d’internet que nous sommes tous, surtout par manque d’information sur le fonctionnement d’internet. Pourtant, nous utilisons tous le web et les nombreux services gratuits que l’on peut y trouver en laissant à chaque fois des traces de notre passage, voire parfois en créant nous-même du contenu. Et pour cause, la génération Y (née entre 1980 et 1995), dite « millennials », est la première génération à avoir grandi avec les jeux vidéo, l'ordinateur, et internet. Les risques liés à internet ne sont pas encore véritablement bien appréhendés par cette génération. Mais ils le sont encore moins par la génération Z (née entre 1995 et 2010) qui a souvent été en contact avec internet dès son plus jeune âge (notamment grâce à la démocratisation des smartphones et des tablettes) et l’utilise généralement avec très peu de précaution. Il est intéressant de noter qu’un caractère commun à ces deux générations réside dans leur rapport au temps : elles sont dans une instantanéité qui, nous le verrons, est alimentée et encouragée par les algorithmes qui régissent les sites qu’ils utilisent.

Le résultat de ce fulgurant développement des NTIC et de leur usage est une production massive de données. En 2018, 50 000 Go de données ont été créé chaque seconde et 90% des données existantes sur internet ont été créé au cours des deux dernières années. La tendance devrait se poursuivre : selon McKinsey Global Institute, le volume mondial de données double tous les trois ans. Ce sont ces données qui constituent le Big Data. Pour rappel, les « données » désignent tout autant les images, que les fichiers audios ou vidéos, les fichiers textes, les tableurs, la localisation GPS, les post sur les réseaux sociaux, les « like » (ou autres « réactions »), les groupes de profils, les contacts téléphoniques, les mots de passe et identifiants, ou encore les recherches sur internet. Cette liste étant bien entendue non exhaustive. Certaines données sont complétées par les métadonnées qui informent sur la donnée en elle-même (nom de la donnée, nombre de pixels d’une image, volume en octets, heure/date/localisation GPS lors de la création/interaction...).

Toutes ces données « brutes » que nous créons tous chaque jour dès lors que nous utilisons le web, sont captées par différents acteurs (les exemples les plus connus étant Google, Amazon, Facebook, Apple, et Microsoft, ou GAFAM) qui les revendent par la suite à des sociétés d’influence numérique, les Data brokers. C’est de cette revente qu’ils tirent une grande partie de leurs profits. Les data brokers ont pour rôle de traiter ces données brutes en les croisants entre elles pour établir des schémas et appréhender les comportements (consommation, style de vie), opinions (politique, religion), et intérêts d’une partie donnée d’une population (ou d’une personne isolée). Ils travaillent pour des gouvernements, des organisations internationales (telles que l’OTAN), ou encore pour des partis politiques. Cambridge Analytica (CA) est sans nul doute le data broker le plus connu, et pourtant, peu savent véritablement quel est leur rôle, ou imaginent leur impact. Le Directeur Général de CA, Alexander Nix, prétend pouvoir être en mesure de changer nos comportements, jusqu’à nos votes. CA a notamment travaillé pour la campagne de D. J. Trump et pour « Leave.EU », l’organisation qui a fait compagne pour le Brexit. En réalité, ils ont réussi à localiser, identifier et cibler chacun des électeurs persuadables pour ensuite leur envoyer des publicités taillées sur mesure pour capter l’attention de l’électeur.

Les êtres humains sont faits d’informations (souvenirs, désirs, passions, peurs...). Imaginez une technologie qui serait en mesure de manipuler tout cela : c’est un pouvoir immense. Pouvoir cibler des gens et leur faire entendre ce qu’ils souhaitent entendre. Ceci pose de réelles questions quant aux libertés et à la démocratie (sans parler des problèmes de respect de la vie privée). Le sujet est d’autant plus inquiétant que les progrès en matière d’intelligence artificielle (IA), - utilisée entre autres pour l’analyse et la gestion intelligente du Big Data - ne se font pas attendre. Le Big Data et l’IA sont deux technologies inextricablement liées, au point que l’on peut parler d’une Big Data Intelligence. Rendre au citoyen la possibilité de décider de la collecte ou non, des données qu’il produit est un véritable enjeu.Sans parler des liens entre les GAFAM et la NSA (3), car « big data » rime avec « surveillance de masse ».

Tout utilisateur de Facebook a très certainement remarqué que l’origine des informations constituant son fil d’actualité chaque jour (page, profil, groupe), ou encore les thèmes qui y sont traités, sont récurrents, voire très récurrents. En réalité, les algorithmes faisant fonctionner le réseau social proposent (et imposent) à l’utilisateur des posts, des articles, des vidéos censés correspondre à ses centres d’intérêt. Intrinsèquement, l’utilisateur se voit ainsi bridé dans ses découvertes, son ouverture.

Il faut percevoir les réseaux informatiques comme des systèmes sociaux et politiques en ce sens qu’ils attribuent une autorité sur les informations. Cette autorité peut être accordée à des participants individuels, à des sous-ensembles du réseau ou à l’ensemble du réseau. Les applications centralisées comme Facebook ou Google, sont par essence des services autoritaires : toute autorité est confiée au serveur et les utilisateurs n’ont aucun mécanisme à leur disposition pour contraindre, ou ignorer, les décisions du serveur. Aucune loi ne restreint la puissance du serveur. Dire qu’ils sont autoritaires n’est pas les dénigrer, c’est décrire leur conception politique. Si ces politiques autoritaires apportent un certain confort, elles ne sont pas moins source d’inquiétude quant à la censure, la surveillance de masse, ou encore la manipulation.

Ces problématiques constituant de plus en plus des enjeux pour nos démocraties, nos libertés d’opinions, mais aussi d’expression, questionnent notre dépendance à quelques géants du numérique. Les récents progrès technologique en matière de blockchain permettent le développement d’applications décentralisées laissant entrevoir l’idée d’un web 3.0, un web fonctionnant sur un réseau décentralisé intelligent (le web 2.0 étant celui du « social web » à travers de gros acteurs centralisés et aux serveurs centralisés), respectueux des données de ses utilisateurs. Si ce web décentralisé n’en est encore qu’à ses débuts, les exemples d’alternatives au web 2.0 se multiplient et se développent rapidement : Textile (une alternative à Instagram), GraphiteDoc (alternative à Google Doc), Matrix (une alternative à Slack), DTube (une alternative à YouTube) … La blockchain ouvre de nouveaux horizons dans de nombreux domaines, dont l’organisation de vote de manière sécurisée.

Depuis 2016, Le Vote (4), start-up Civic Tech du groupe Orange, travaille sur l’alliance de la démocratie participative et de la technologie blockchain pour repenser la relation entre les organisations publiques et privées et les citoyens. Cette solution destinée aux collectivités locales et territoriales est un exemple concret d’apport de la blockchain en matière d’innovation démocratique.

Alors que nos démocraties actuelles subissent une véritable crise de la confiance, la blockchain pourrait réintroduire de la confiance grâce à sa transparence et sa fiabilité. Dès lors il est possible d’imaginer qu’elle fasse fonctionner une forme de démocratie délégative. Cette démocratie dite « liquide », cherche à combiner le vote direct et la représentation par l’utilisation d’un délégué. Selon le sujet voté, le citoyen choisit entre voter directement pour une proposition, et déléguer son pouvoir de décision à un représentant en qui il a confiance. Ce dernier peut lui-même utiliser ses voix, ou les reporter sur un autre délégué, jugé plus compétent.

Les NTIC ouvrent de nouvelles possibilités d’interactions et créent dans le même temps de nouveaux défis à nos sociétés et à nos démocraties. Il est intéressant de se pencher sur la manière dont les générations Y et surtout Z, appréhendent le monde qui les entourent. En effet, la génération Z représentera environ 20% des effectifs sur le marché du travail en 2020. Si les sociologues reconnaissent aux premiers une forte capacité d’adaptation, ainsi qu’une ouverture d’esprit et une parfaite maîtrise des outils technologiques, ces deux générations ont une caractéristique commune : elle réside dans leur soif d’entreprendre. Enfin la génération Z se distingue par son fonctionnement en réseau (sur lequel ils comptent beaucoup), par la confiance en eux dont ils font preuve et par leur sentiment d’être des citoyens du monde. Espérons qu’elle saura se donner les moyens de s’orienter vers un internet plus respectueux des libertés de chacun et vers une démocratie qui lui corresponde enfin.

N'hésitez pas à partager l'article s'il vous a plu (ou ne serait-ce que pour éveiller les consciences). Merci !

(1) https://www.franceculture.fr/politique/ce-que-les-elections-de-2017-nous-ont-appris-des-francais
(2) https://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/technology-media-and-telecommunications/articles/usages-mobiles-2015.html
(3) https://www.theguardian.com/world/2014/mar/19/us-tech-giants-knew-nsa-data-collection-rajesh-de
(4) https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/0600331092687-orange-lance-son-systeme-de-vote-securise-par-la-blockchain-2229462.php

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