La vie sous un coup d'Etat, partie 3

in #fr6 years ago

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Coup d'Etat, retour sur Abidjan

Le coup d’Etat de 1999 en Côte d’Ivoire nous avait surpris en vacances sur notre plage favorite, oú, coupés du monde, nous n’avions aucune information. Devinant qu’il se passait quelque chose d’anormal nous nous étions décidés à prendre le risque de rentrer à Abidjan, chercher des nouvelles, des possibilités de communiquer et peut-être un peu de sécurité. Sur la route, jusqu’à l’entrée d’Abidjan où commence cet épisode, tout c’était bien passé, à l’exception d’un calme inquiétant. Mon appareil photo sous le siège conducteur était prêt pour immortaliser la situation.

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La traversée d’Abidjan

Comme nous nous y attendions, le rond point de l’aéroport était occupé par un grand barrage, tenu par des militaires. Nous sûmes plus tard que, comme souvent en Afrique, le coup d’Etat venait de l’armée. Ils étaient les maitres du terrain, ils tenaient les boulevards et les avenues débordant de la joie de leur récente victoire. Bien que nous nous attendions au pire le barrage fût une rencontre brutale avec la réalité. Militaires, en tout cas porteurs de vêtements militaires, armés de fusils de guerre, masqués pour la plupart, surexcités par leur succès et plus que probablement par l’alcool voire quelques drogues tiraient en l’air de tous les côtés.

Sur ce premier barrage il y avait un responsable, un gradé je suppose, affublé d’un masque de gorille mais plus calme que la moyenne. Je ne sais pas trop pourquoi, il nous a laissé passer. La mauvaise nouvelle était que nous étions les seuls civils dehors ce jour là, avec notre voiture rouge nous devions faire un vingtaine de kilomètres à travers la ville pour arriver chez nous. La vérité historique m’oblige à confesser que la part de grand reporter qui était née en moi le matin même, s’était évaporée. L’appareil photo est resté sous le siège de la voiture, le plus camouflé possible.

Il serait trop long et fastidieux de raconter chaque barrage, chaque négociation. Ne parlons pas évidement du niveau de stress que l’on a subit. Toujours est-il que nous avancions, félicitant diplomatiquement, pour ne pas dire hypocritement, les uns, gratifiant les autres d’un petit cadeau, essayant de faire rigoler les troisièmes. J’ai même du tirer une rafale d’un fusil pour montrer ma joie de l’événement, en l’air il va sans dire. Au moins le service militaire, obligatoire à l’époque, m’a-t-il était utile à cette occasion.

Etrangement c’est le dernier barrage, à moins de deux kilomètres de la maison, qui fût le plus dangereux. Les militaires, peut être faux ceux là, nous ont intimé l’ordre de descendre de la voiture. Nous avons tout de suite compris qu’ils voulaient nous la voler, ce que les informations par la suite ont confirmées. Ils étaient extrêmement agressifs mais peut-être pas 100% sûr d’eux, nous n’avons pas obtempéré et nous avons forcé, pas à pas d’abord puis plein pot le barrage. Leur hésitation nous a favorisée. Ne croyez pas à un grand courage, plutôt l’instinct de ce qu’il fallait faire à ce moment.

Jamais, arrivée à la maison, ne m’a parue aussi douce ! Voiture dans le garage, portes fermées et verrouillées, une impression de sécurité nous a envahis, en même temps qu’une soudaine et grande fatigue : Le stress passé et à la retombée de l’adrénaline. Impression de sécurité dans Abidjan après le coup d’Etat, tout est vraiment relatif dans la vie.

Ce que l’on savait à ce moment de la situation

Le téléphone, fixe, marchait plus ou moins. Avec un peu de patience nous avons pu parler aux amis pour se rassurer mutuellement et savoir un peu ce qu’il se passait. Je parle ici de la version qui circulait, faite probablement de manipulations et de rumeurs. La vérité historique est sûrement plus complexe, je laisse à chacun le soin de s’en faire une idée, si le sujet l’intéresse, grâce à l’abondante information sur internet.

Un petit groupe de militaires auraient bloqué un rond point connu pour réclamer des arriérés de solde. Bédié, le président, n’y avait pas accordé d’importance et avait finalement était renversé le 24 décembre. Aussi simple que ce que l’on a connu plus tard ailleurs sous le nom de printemps Arabe. Trop simple ? A chacun d’en juger.

Le nouvel homme fort était le général Gueï qui d’ailleurs se disait complètement étranger au coup d’Etat. Dans son discours introductif, long comme seuls savent les faire les politiciens Africains, il a expliqué que les jeunes (les militaires ayant bloqué le rond point puis la TV) étaient venus le chercher alors qu’il s’occupait de son jardin dans sa maison du centre du pays, pour lui demander de remettre de l’ordre. Il s’est fait un peu prié mais son sens du devoir l’a finalement obligé à accepter.

Une phrase prononcée dans ce même discours est devenue célèbre : « Nous sommes venus balayer la maison ». C’est elle qui inspirera à Tiken Jah Fakoly, chanteur Ivoirien, sa chanson : « Le balayeur balayé » (Robert Gueï sera battu aux élections l’année suivantes et assassiné en 2002). Certains ont fait passer Gueï pour un saint qui venait améliorer les choses, un naïf dépassé par les événements. Je ne connais pas la vérité mais le passé du général ne me porte pas à accorder beaucoup de foi à cette version trop manichéenne.

La soirée du 25 décembre

Voilà ce que nous savions et dans quelle situation nous nous trouvions en cette fin de jour de Noël. Des coups de feu plus ou moins éloignés éclataient ci et là, nous y étions déjà habitué, nous avions constatés ce matin qu’ils étaient souvent pointé vers le ciel, festifs si l’on peut dire. Le couvre feu était déclaré, ce qui pour ce premier jour n’était pas très contraignant. Qui aurait eu envie d’aller se promener ? Nous, nous avions notre compte de promenade. Il allait juste falloir s’organiser un peu au cas oú la situation durerait.

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Notre gardien était resté bloqué chez nous, nous l’adorions, je crois réellement qu’il serait mort pour nous malgré nos instructions répétées de laisser passer les voleurs s’ils venaient cambrioler un jour. D’un physique ingrat c’était un homme formidable, il venait du Burkina et rêvait d’y retourner monter un élevage de porcs. J’étais bien décidé à l’aider lors de mon départ à transformer ce rêve en réalité.

L’histoire a été bien différente, les conséquences de ce coup d’Etat, vieux de 24 heures à peine, l’ont probablement emportées ailleurs dans les mois qui ont suivis. Je l’ai cherché, longtemps, en Côte d’Ivoire et au Burkina.

Mais ces jours là, entre Noël et le passage à l’an 2000, alors que le monde s’interrogeait sur les horloges des ordinateurs, le bug de l’an 2000, nous avons profité ensemble d’une vie ou le temps ne comptait plus.

Il a fallu organiser notre vie pour les jours qui ont suivi, quelques jours de vie sous le coup d’Etat …

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