[Jacques et Markus] Destin sans frontière

in #fr6 years ago
Attention, avant de lire nos nouvelles, il est fortement conseillé d'avoir lu le prélude, sans ça vous risquez de ne comprendre absolument rien (déjà que c'est pas facile de base).

Illustration : Tony Crayon

Pourtant exempt d’activités sportives, le cadre de la porte avait dû s’étirer intensément pour laisser passer la carrure imposante de Jakobe Bourguignon.

Professeur de peinture reconnu, M. Bourguignon se définissait par ses cornes en forme de poivron, son béret coquet de similicuir et son calme légendaire. Dans ses yeux, on y voyait « la sagesse », seul regret de son adolescence difficile au sein d’un gang. En effet, ces deux mots étaient dessinés en tatouage ophtalmique et ne laissaient personne indifférent.

Tout le monde s’était levé dans la salle…

Il referma tout en douceur la porte de la salle et remercia diligemment le cadre pour son effort remarquable. Il rejoignit son pupitre et intima ses élèves à prendre place. Tous s’exécutèrent sans décès, dans un silence religieux.

Le maître bœuf n’avait qu’une règle de conduite. Une fois placée sur la colonne de direction de sa voiture électrique, elle lui assurait d’une part un voyage agréable, mais également la possibilité de mesurer les kilomètres parcourus. Et comme chaque matin, ce voyage riche de détente redorait son calme.

M. Bourguignon entreprit son cours de sa voix lénifiante. Le sujet du jour était très animé ce qui perturbait considérablement la tâche des jeunes peintres. Certains dédoublaient leurs traits le plus rapidement possible, afin d’immortaliser chaque position, alors que d’autres construisaient progressivement leur œuvre. Seul Jakobe connaissait la meilleure méthode.

Markus avait rejoint le cours réputé de M.Bourguignon afin d’affiner sa technique, mais ce jour-là, il avait l’attention d’un narcoleptique ; il était régulièrement interrompu par son adjacent de table, un kangourou gris nommé Dolfy qui s’évertuait à lui exhiber ses prouesses acrobatiques.

Toutes les sept minutes environ, Markus recevait un coup de coude de son voisin, faisant somptueusement échouer son sfumato. Lorsqu’il lorgnait le visage exaspéré de Markus, Dolfy surenchérissait : « Hey ! Tu veux voir un truc ». Naturellement, Il ne considérait pas les réponses de Markus et se contentait d’effectuer une figure grotesque n’apportant sensiblement rien à l’œuvre en cheminement de Markus. La dernière en date fut la capacité au marsupial de se contorsionner pour effleurer son museau de la cime du pied droit.

Bien vite, Dolfy retint l’attention de M. Bourguignon qui s’adressa poliment aux deux jeunes artistes. « Messieurs, j’imagine que l’attention de mes intentions ne vous contraint à aucune tension. » Quelques jeunes rappeurs parsemés çà et là, reconnaissables à leur capuche et leur style de peinture, notèrent immédiatement la punchline du professeur. C’est ce qui permit à l’une d’entre eux, Doc Angina Streptocoque, de faire succès quelques années plus tard.

Mais revenons à Markus. Pourtant chatoyant élève, car, déjà maître en l’art pictural, celui-ci se retrouva dépourvu et fortement gêné, ayant brisé la confiance d’un professeur qu’il estimait.

Sujet honteux, ses anneaux virèrent au pourpre. Dolfy quant à lui semblait imperturbable, un filet de bave s’écoulant lentement d’une de ses babines. « Pour vous deux, un exercice public ne vous fera pas de mal. Approchez donc ! »

Markus et Dolfy descendirent les gradins estudiantins pour rejoindre le « chevalet du déshonneur », afin d’y recevoir leur sanction d’indiscipline.

M. Bourguignon consulta la liste de classe.
— Quels sont vos noms ?
— Dolfy m’sieur, Dolfy Digital !
— Mais... Vous n’êtes pas sur ma liste.

Subitement, trois inconnus en blouses blanches firent irruption dans la salle et assaillirent Dolfy, sous les regards médusés des élèves. Même le cadre de la porte semblait pétrifié.

Le kangourou n’était pas inscrit et encore moins peintre. Il s’était échappé de l’hôpital psychiatrique voisin. Les médecins s’approchèrent délicatement, mais Dolfy n’y prêta aucune attention.

En revanche, le stress de la sanction imposée par le professeur engendra une crise de panique chez le mantelé qui commença à mousser de la bouche. Rapidement, les officiers de santé le saisirent dans leur bras pour l’apaiser et quelques compliments plus tard, Dolfy ronronnait.

Il fut ramené à l’hôpital sous les applaudissements respectables de l’ensemble de la salle qui s’était levé pour l’occasion.

D’une voix massive, M. Bourguignon tranquillisa ses élèves : « Jeunes gens, je vous prierais de prendre exemple sur votre camarade. Ce sera tout pour aujourd’hui ! »

Confus, par le discours du professeur, Markus avait pourtant appris bien des choses sur l’art de la dissimulation, mais bien peu sur la peinture.



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Suivez les aventures de Jacques et Gontrand (et leurs deux compères)
Le Prélude

Jacques et Markus

Le Shérif de Saint-Glier
Le châle
Le violon

Gontrand et Clémentin

Le rêve
Vie paisible
Curé n'est pas qui vaut
Le blues dans le bus