L'Occidental, une schizo-analyse « de comptoir »

in Transe·versalité7 months ago

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On dirait que l’occidental cherche/suit son Saint Graal, vérité-science-progrès, tel que l’âne et sa carotte. Mais en réalité il marche moins par attirance que par repoussement, par la terreur qu’il éprouve face à l’existence. Sa carotte ne l’attire qu’en apparence, à la surface ; dans la profondeur, elle donne juste du « sens » à sa fuite. Pauvre celle.lui qui ose la voiler, ou à couper le fil ! La pire des crises serait déclenchée, la panique la plus extrême ! Injures, blasphème, sacrilège ! L’occidental déploierait toutes ses forces pour annihiler un.e tel terroriste. Comment faire alors pour qu’il avale que l’harmonie, la santé, le sens, la spiritualité, ont moins à voir avec la « vérité »i qu’avec les écologiesii ? Et qu’il y a autant de possibilités d’harmonie écologique que de paysages pour l’artisteiii ! Il faudrait peut-être traiter l’occidental et son Pouvoir comme le pire des névrosés : si on le met face à sa fuite, il frappe en retour de toutes ses forces, et on risque la vie. Pas négociable. Qu’est-ce que cela implique pour nous les militant·e·s ? Que peut-on faire ? Prenant en compte qu’on fait partie de cette névrose collective et que nous aussi nous avons nos carottes ! Lesquelles on suit en ayant les œillères du spécialisme, par inertie, tout en disant « qu’en avons-nous à faire, nous, de la psychologie et de l’inconscient ? ». Dictature du prolétariat ? Grand soir ? La venue de Jésus ? Croyez-vous encore convaincre avec vos vérités ? Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ? Le militant cherche la bonne vérité, puis iel la promulgue, la chante ou l’impose. Vérités contre vérités, un évangile contre un autre. Il faudrait peut-être qu’on commence à s’intéresser à l’analytique de la fuite, des œillères, des fils et des carottes ! C’est bien dans ce terrain-là, à cette profondeur, que germent et fermentent les Pouvoirs – affects, subjectivité, inconscient, désir, flux... C’est là qu’on peut penser sérieusement aux processus de transformation sociale, étudier les agencements et les véritables marges de manœuvre. Car quel pouvoir ont nos vérités sur le pire des névrosés ? Le malade de l’esprit guérit-il lorsqu’il entend son diagnostic ? Avons-nous déjà vu un malade guérir par la force ? Le « fou » devenir « normal » à coups de claques psychiatriques ? Le conservateur/facho devenir de gauche à coups de « matraque révolutionnaire » ? Le révolutionnaire est alors obligé·e de s’intéresser aux processus thérapiques – déjà pour soi-même, et en même temps pour la société – autrement iel restera évangéliste, martyr ou tyran.

Quelle est l’origine, s’il y en a une, de cette maladieiv de type névrotique caractérisant l’occidental ? On est obligé·es de devenir un minimum ethnologues ! Qu’est-ce qui fait que certaines sociétés ont un haut degré d’harmonie écologique (mentale, sociale, environnementale) ? Et dans lesquelles il n’y a ni pouvoir coercitifv, ni névrose généralisé, ni destruction des écosystèmes ! Le pouvoir coercitif émergerait-il là où il y a un haut degré d’harmonie écologique ? Et si la réponse était négative, quelles fonctions, processus, rôles et agencements la rendraient possible ? Est-ce la clé pour comprendre la nature de ce trouble et le pire de ses symptômes ? De même que pour le développement de nos remèdes, non pas comme potions miraculeuses mais comme processus thérapiques ? Qu’ont ces tribus, ces sociétés, dont l’occident manque ? Au-delà de la démographie… il y a peut-être quelques fonctions qui opèrent comme régulatrices écologiques. Et s’il y a bien un personnage perçu par l’occidental comme le plus étrange, le plus incompréhensible, et même historiquement le plus méprisable, c’est bien le chaman ! C’est sûrement chez elle·lui qu’on peut trouver quelques réponses !

Si on pense au chaman non pas comme individu mais comme fonction connective, on peut considérer l’occident comme fonction-coupure. Le chaman connecte le monde des humains et le monde des espritsvi, le monde conscient et le monde inconscient, le monde intérieur et le monde extérieur, nature et culture étant un seul et même tissu, tandis que l’esprit « occident » extirpe, tranche, cisaille, débranche, désarticule : corps-psyché, nature-culture, intérieur-extérieur, objet-sujet, affects-raison, ville-campagne, sciences « dures »-sciences humaines… La fonction-chaman nous met face à l’existence – la vie, la mort, la souffrance... –, aux rapports écologiques comme tissage entre le mental, le social et l’environnemental, tandis que la fonction-occident arrange les choses pour constituer la fuite comme fondation de toute activité. En ce sens, l’occident catalyse la négation, la névrose, et rend de plus en plus difficile le bricolage de territoires existentiels, tandis que les processus chamaniques font exactement le contraire, ils sont par essence thérapiques. Le chaman·e est spirituel·le puisque trans-sensiblevii, l’occidental est malade puisque spécialiste désarticulé. Ce constat devrait être la base de toute tentative analytico-pratique concernant la folie, le capitalisme, le pouvoir, le fascisme, la guérison et toute praxis révolutionnaire.

L’occidental est piégé dans un sorte de boule de neige ou de boucle mortifère : il développe par la voie du spécialisme des chimio et psycho-thérapies spécifiques et complexes pour traiter les symptômes d’une maladie qui est elle-même engendrée par les coupures et désarticulations propres/inhérentes au spécialisme. Un minimum de mixage de disciplines et d’expériences nous montre que la seule voie de guérison culturelle possible est précisément celle de la transversalité, puisqu’à force de faire des connexions, de mélanger une diversité d’expériences, de domaines, disciplines et pratiques, elle produit/génère/engendre en nous une multiplicité de sensibilités, nous permettant de capter, de réaliser, de sentir de mieux en mieux notre place et nos rapports dans le tissu machinique de l’écologie mentale, sociale et environnementale. Elle nous embarque dans des processus de rebranchement, de mixage et de débouchement, de ré-articulation de tout ce qu’on s’était efforcé à séparer, refouler ou nier. De fluidification de tout ce qui était devenu rigide. La transversalité est à la fois une démarche, une pratique, une analytique… une attitude face à la vie. Une conséquence de la nature rhizomatique du désir : laissons le désir nous guider, couler, et nous serons automatiquement dans les ruisseaux, veines et bronchioles de la transversalité ! C’est dans cette navigation-là que les concepts de santé, écologie, politique et spiritualité deviennent indissociables. À partir d’elle, hormis tout mysticisme et dogmatisme, on peut concevoir l’humain.e spirituelle comme celle.lui chez qui opèrent les trans-sensibilités. Des sensibilités propres à la démarche transversale. Autrement dit : transversalité∞trans-sensibilités∞spiritualité. Et qui est véritablement r-évolutionnaire si ce n’est l’humain·e spirituel·le, artiste et médecin ?