Evangeliser l'Autre pour maintenir son pouvoir : un casse-tête catholique

in #religion6 years ago (edited)

La transmission de la religion est à la fois une nécessité et un « casse-tête » pour les croyants et les autorités religieuses. Commençons d’abord par énoncer les moyens de transmission (de la religion) à disposition des croyants et des autorités religieuses. Tout d’abord il y a la famille. La culture familiale est le vecteur prioritaire de la transmission de la foi, des valeurs religieuses, des pratiques, des rituels. Ceci explique sans doute l’importance de la famille dans le christianisme. Il y a également bien sûr l’enseignement religieux. L’Église accorde une grande importance à l’éducation. En témoignent les nombreuses démarches dans le domaine, aussi bien au niveau des réseaux scolaires, de la recherche en pédagogie et en psychologie concernant les mécanismes d’apprentissage, ou plus directement l’enseignement du catéchisme et des matières proprement religieuses. Ensuite il y a la transmission par les pairs, par la communauté, les mouvements de jeunesse, scouts et guides catholiques par exemple, ou les rassemblements de jeunes dans les contextes chrétiens. L’église est aussi un lieu de sociabilité, où peuvent se rencontrer des jeunes aux valeurs communes, qui bâtiront ensuite des familles dans lesquelles la transmission de la religion se fera naturellement. Mais elle ne se fait pas qu’à l’intérieur de la communauté des chrétiens, de génération en génération, elle est également transmise à l’Autre, et ce par des moyens différents (s’adressant cependant également à la communauté chrétienne), visant la conversion (par l’admiration, l’accueil, la médiatisation, etc.). Ces moyens, plus prosélytes, sont par exemple la littérature, la musique, le cinéma, la télévision, la radio. Amener l’Autre à se convertir, quand il n’est pas de la même langue, pas de la même culture, du même pays ou du même continent, n’est pas chose aisée. Pour convertir « extra muros » il a fallu réfléchir à toutes ces dimensions. Abandonner le latin dans la liturgie catholique ? Étudier le cinéma autrefois diabolisé et créer des ciné-clubs ? Adapter des rituels et des pratiques religieuses à des traditions fortement implantées ? Dialoguer avec les autres religions ? Renouveler le répertoire musical ? Pour les chrétiens, catholiques et protestants, le défi semble en grande partie lié à la perte d’importance de la dimension spirituelle dans la vie quotidienne. Ceci expliquerait pourquoi la transmission de la religion est aujourd’hui une nécessité pour les autorités religieuses, l’évolution de la société ayant amené les individus à s’éloigner des institutions et des valeurs religieuses (comme la famille, le mariage, le renoncement, le respect des bonnes mœurs). J’ajouterai que les progrès de la médecine ont considérablement joué dans la baisse de la mortalité, et ont donc profondément bouleversé notre rapport à la mort. Autrefois omniprésente, la mort (la nôtre, celle de nos proches) est de nos jours bien plus abstraite, moins obsédante sans doute. La hausse démographique, la baisse de la mortalité infantile, l’accès relativement facile aux vaccins, aux médicaments, aux soins de manière générale, les progrès dans le domaine de la chirurgie, sont par exemple des facteurs d’éloignement de la pensée de la mort, et donnant, qui plus est, une impression de « pouvoir sur le vivant », autrefois exclusivement réservé à Dieu. Durant le XXe siècle, ce confort de vie s’est encore accru, faisant de la vie terrestre quelque chose de central dans les consciences, au détriment sans doute de la vie éternelle qui attend les croyants dans le royaume des cieux. Ajoutons à cela les valeurs matérialistes véhiculées par la publicité à partir de la révolution industrielle et encore plus depuis les années cinquante, la libération des mœurs dans les années soixante et septante, l’hypersexualisation des corps dans les années quatre-vingt, ne faisant que creuser le gouffre séparant la tradition chrétienne de son époque. Le désintérêt des jeunes générations pour la religion a été, en occident, une véritable catastrophe pour les autorités religieuses car la transmission de la religion au sein de la communauté ne pouvait plus se faire par les moyens habituels (famille, paroisse), publiquement remis en question. Une véritable angoisse a été exprimée dans les milieux chrétiens face à ces changements sociétaux majeurs. L’individualisme prenant le pas sur les valeurs communautaires classiques, il a fallu que l’Église se secoue et se modernise afin de ne pas sombrer dans un repli réactionnaire qui l’aurait isolée, ce qui fut pour elle un véritable casse-tête. Du côté catholique, le Concile de Vatican II, initié en 1962 par Jean XXIII et terminé en 1965 sous le pontificat de Paul VI, a justement été l’outil de modernisation le plus important de l’Église mis sur pied depuis la Réforme. De nombreux sujets ont été abordés, et celui des moyens de communication et des nouvelles technologies ne fut pas le plus facile à traiter. L’attitude à adopter a dès lors été celle de l’appropriation de la modernité, l’infiltration des sphères autrefois délaissées. Cela nous amène à nous pencher sur les différents supports et vecteurs de la foi. Ces deux dimensions sont importantes et, à mon sens, très différentes. L’abandon de la messe en latin est à mon avis un vecteur de la foi (car elle augmente le degré de compréhension du message et réduit la distance entre le croyant et le divin, sans supprimer l’intermédiaire ), tout comme le pèlerinage (comprenant la marche et le cheminement), les retraites, le besoin de silence ou de chant, d’espace, la recherche de la paix intérieure, du pardon, du salut, le désir d’appartenir à une communauté, la famille bien entendu et la paroisse (comme mentionné plus avant). Dans l’histoire du christianisme, et c’est peut-être moins le cas aujourd’hui, un de ces vecteurs pouvait par exemple être l’admiration des saints, le désir de s’affranchir de sa situation familiale ou sociale en entrant dans les ordres ou dans un monastère (qui pouvait être un lieu de liberté plus qu’il n’y paraissait), ou encore le désir d’apprendre et de s’instruire. Les supports de la foi sont davantage de l’ordre du médium : la musique, la littérature, la peinture, le cinéma, le théâtre, l’architecture, la parole. Qu’il s’agisse de vecteurs ou de supports, il est évident qu’un contrôle doit être exercé pour que la religion reste sous le joug des autorités religieuses. Les pratiques doivent donc être cadrées, les contenus musicaux, cinématographiques, picturaux ou littéraires sont examinés, discutés, validés par les pairs ou les membres du clergé. Le rapport au corps est ici toujours étroitement surveillé, le christianisme entretenant depuis toujours une relation ambiguë à la chair, dévalorisée au profit de l’immatériel, du spirituel, de l’âme éternelle. L’utilisation de la musique rock en tant que support de la foi représente à elle seule un certain paradoxe. Autrefois considérée comme la « musique du diable », associée à des danses perverses bien trop sensuelles, elle est aujourd’hui complètement acceptée par les autorités religieuses pourvu que le texte soit en accord avec les préceptes de l’Église. Les problèmes liés à la transmission de la foi sont donc intrinsèquement liés au désir de faire grandir en nombre la communauté de croyants et de pratiquants, qui amène l’Église à se moderniser et à faire preuve de flexibilité en fonction de son public, et au désir de contrôler et d’encadrer les moyens de transmission et les façons de recevoir le message de Dieu, afin de maintenir les institutions religieuses en place. Le manque d’espoir de la jeunesse en un bel avenir et les perspectives réduites d’épanouissement futurs peuvent toutefois jouer en la faveur des autorités religieuses. En effet, le chaos, les pertes de repères ou l’inconfort (physique ou mental) lié à l’existence terrestre peuvent ramener la population vers un besoin de croire, un besoin de sens, de spiritualité, ou de réconfort dans l’idée d’une vie après la mort