Cet homme si aimable

in #steempress3 years ago


yoyo_46
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Date d’inscription : 26/06/2001
Sujet : Re : Vos rencontres insolites avec le paranormal    @Mardi 26 juin – 3:17

Salut tout le monde! 

Merci de m’accueillir sur votre babillard! En fait, je vous « espionne » depuis quelques semaines. J’hésitais à participer parce que je n’ai pas grand-chose à dire sur le paranormal ou les grandes conspirations du gouvernement. Le sujet m’intéresse beaucoup depuis que je regarde Aux frontières du réel à TQS, même si j’ai arrêté l’année dernière. Les enquêtes vont nulle part, on dirait que les scénaristes manquent d’idées et inventent à mesure. Si seulement ça redevenait comme avant!

En tout cas, je vais pas vous parler de Mulder et Scully. Je sais qu’il y a d’autres forums pour ça. Comme je disais, j’aimais ça vous observer de loin, sans intervenir. En lisant vos témoignages cette nuit, je me rends compte qu’il m’est peut-être déjà arrivé de quoi de spécial. Bon, si je compare à vos histoires, c’est rien d’extraordinaire. Contrairement à Bad Bidou, j’ai jamais vu de soucoupe volante au-dessus des Laurentides, ni frappé de yéti en char comme le Dr Orloff. J’ai jamais parlé de ça à personne, sauf une fois à ma psy qui disait que c’était pas important. Elle avait probablement raison, à vous de décider. 

Je devais avoir 17 ou 18 ans quand j’ai eu mon premier vrai travail. Quand j’étais à la polyvalente, je passais mes fins de semaine et mes étés à aider mon père sur sa ferme. Ça me faisait pas tripper tant que ça. Comme on finissait toujours par s’engueuler, je me suis motivé à trouver autre chose. Le problème, c’est que j’habitais dans un petit village du Bas-du-Fleuve et que l’emploi était rare. J’ai finalement été embauché dans une station-service à Trois-Pistoles. Ça me prenait une demi-heure m’y rendre à pied, mais j’étais trop content pour me plaindre. Je chialais même pas quand je revenais chez nous à deux heures du matin. Pour une fois, j’avais la sainte paix! 

Un soir, je suis parti de la job plus tard que d’habitude à cause de l’inventaire. Mon gérant faisait toujours ça après la fermeture. Quand je repense à ce shift-là, rien de bizarre me vient en tête. Sauf peut-être la radio qui jouait en boucle la même chanson des Rolling Stones. Je l’avais pogné dans tête quand je suis enfin rentré chez nous. 

Des faiseurs de trouble, y’en a toujours eu dans mon coin. Souvent, je leur vendais de la bière même s’ils avaient pas l’âge. Mon boss préférait ça à avoir des vitres cassées. Comme je leur rendais service, ils me laissaient généralement tranquille. Sauf cette nuit-là. Alors que j’étais à mi-chemin entre le dep et ma maison, j’ai commencé à me sentir suivi. D’habitude, je croisais jamais personne, sauf peut-être le boulanger qui venait de se lever. Je me suis retourné et j’ai remarqué que trois gars se tenaient derrière moi. Il faisait trop noir pour que je les reconnaisse, mais j’ai reconnu leur batte de baseball. Le reste s’est passé vite. Ils ont accéléré le pas. J’ai pris peur et je suis tombé en m’enfargeant dans un nid de poule. Ça a pas été long avant qu’ils m’encerclent en levant leur arme. J’ai fermé les yeux et j’ai entendu une voix.

Le gars se tenait à quelques mètres de nous. Il portait un imperméable et un genre de chapeau melon. Personne dans les environs s’habillait de même.  Sans lever le ton, il a poliment demandé à la gang de partir. Il respirait calmement, sans bouger. Mes agresseurs ne l’impressionnaient visiblement pas. J’ai cru avoir affaire à un fou. Quand ils en auraient fini avec moi, les bums allaient clairement lui sauter dessus. Ils ont fait exactement le contraire. On aurait dit qu’ils ne pouvaient pas soutenir son regard. Au lieu de lui tenir tête, les voyous fixaient le sol en marmonnant des trucs incompréhensibles. On est resté comme ça, eux debout et moi par terre. Après un long moment où j’ai cru y passer, les voyous ont jeté leur arme derrière eux et sont partis. 

Mon sauveur m’a aidé à me relever en me tendant la main. Je pouvais alors le voir de près. Son visage avait rien d’anormal. En fait, je dirais qu’il était trop normal, un peu comme celui d’un mannequin au centre d’achat. Je sais bien qu’il faisait noir, mais je serais incapable de vous décrire la couleur de ses yeux ou encore de ses cheveux. Tout ce dont je me souviens, c’était son immense sourire avec de belles dents blanches. Il m’inspirait une confiance quasiment aveugle. Sur le coup, j’avais l’impression que j’aurais pu tout abandonner pour le suivre. Juste d’y penser, ça me fout carrément la chienne. L’inconnu avait une poigne forte, en tout cas, pas mal sûr qu’il aurait pu se défendre sans problème. Je savais pas trop quoi dire, alors je l’ai remercié. Il m’a alors dit de quoi de weird que j’ai jamais oublié : « Je ne fais rien pour rien. Vous avez une dette envers moi. Un jour, vous me retournerez cette faveur. » Il m’a quitté sans rien ajouter d’autre. 

Je suis rentré chez moi et j’ai vécu ma vie. Au début, je pensais que cet homme si aimable allait se pointer au dep pour me demander un service. Ce n’est jamais arrivé. L’hiver suivant, j’ai quitté la région pour Montréal. J’y ai rencontré ma femme et on a eu trois beaux enfants. Quand je niaise sur mon balcon, je repense parfois à cette nuit-là. Je me suis rappelé que j’en devais toujours une à ce gars-là et qu’un jour, il allait se pointer pour collecter. 

C’est drôle, mais j’ai la certitude qu’il me demanderait pas de changer ses pneus d’hiver. Quand les journaux parlent de bons pères de famille qui pètent leur coche sans raison, je me demande si ce serait pas à cause de lui. Je m’imagine alors en train de tuer ma famille avec une crowbar. Le pire, c’est que ça me fait sourire. 



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