Exutoire n°4 : Un rien peut faire beaucoup

in #fr6 years ago (edited)

 Je ne suis pas quelqu’un d’extraverti. J’ai de la peine à aller vers les gens. Je suis vite stressé à l’idée de parler devant un public.

Voilà quelques-unes de mes plus grandes faiblesses, mais j’ai compris, il y a déjà 3 ans que ce ne sont “que” des faiblesses et non pas des barrières. J’aimerais vous raconter une expérience que j’ai vécue il y quelques années. Une expérience qui m’a coûté beaucoup d’effort et qui a sûrement participé à ce que je suis aujourd’hui.

Je vous plante le décor : je viens de commencer mon Bachelor depuis quelques mois. Nous sommes une trentaine dans la classe et je ne connais de loin pas tout le monde. Je n’ai d’ailleurs qu’un ou deux camarades de classe qui me sont proches. On me décrit à ce moment-là comme très réservé. Pendant les cours, malgré l’encouragement des professeurs, je ne participais pas. Je me souviens même (et ça, c’est important pour la suite) que lorsque j’avais des questions à poser, je les gardais pour moi de peur d’être ridicule.

Nous sommes en cours de communication. Durant ce cours, chaque semaine, plusieurs élèves sont désignés pour réaliser une présentation pour la semaine d’après. Le thème est libre, mais doit être centré sur un objet auquel on tient beaucoup. On ne doit parler que trois minutes et n’avons droit à aucun support. Plusieurs semaines passèrent où certain parlèrent de leur montre léguée, d’autres, d’objet plus atypique comme une balle de golf, un trépied, de leur passeport ou encore d’un livre et puis vint mon tour. Je me rappelle quand j’ai entendu mon nom d’avoir tressailli de l’intérieur, je crois même avoir espéré que c’était d’une autre personne dont l'on parlait.

Pourtant c’était bien à moi de passer au pilori la semaine prochaine. Durant les jours suivants, je me demandais quel objet j’allais choisir. J’étais aussi très embêté, car j’avais vu durant les premières présentations que les élèves avaient tous parlé d’eux. Ils s’étaient dévoilés sur quelque chose d’intime et c’était hors de question pour moi de faire de même. La première idée fut de tout simplement refuser l’exercice : aller devant la classe et ne rien dire. J’oubliai rapidement cette proposition. Rien que de penser à l’humiliation que je pourrais ressentir suffisait à me faire suer à grosses gouttes. Alors, comment faire une présentation en suivant les consignes et sans pour autant me dévoiler ?

La réponse me vint le mardi soir (le jour J étant le jeudi) je tombai par hasard sur un sketch incroyable de Raymond Devos : https://www.youtube.com/watch?v=hz5xWgjSUlk.
Le sujet du sketch : Rien. J’avais enfin le mien pour ma présentation. J’avais également ma solution au niveau de l’humiliation. J’étais certain que si ma présentation était inattendue (je ne dis pas réussie 😁), je me sentirais au moins digne du travail effectué. Je passai tout mon mercredi à préparer ma présentation et le jeudi matin j’arrivai en cours prêt (bien que terrorisé à l’idée de me planter). Je n’en avais parlé à personne, pas même à ma famille. J’avais (comme souvent) gardé pour moi le challenge que je m’étais lancé.

Voici la présentation que j’ai faite ce jeudi-là à 10h15

Les phrases en italique sont celle que je devais le plus accentuer. Le texte est exactement le même qu’il y a trois ans.

Eh bien allons-y, je crois que c’est mon tour, je sais ce que vous vous dites, mais où l’a-t-il mis ? ou est-il ?Eh bien, je vais vous décevoir, car je n’ai point amené d’objet auquel je tiens énormément, d’ailleurs je n’ai même pas amené d’objet.

Bonjour à tous, J’ai eu un gros problème durant cette semaine. Et ce problème continue à me hanter maintenant devant vous. La semaine passée, nous apprirent tous que pour aujourd’hui nous devions passer devant la classe et communiquer avec vous quelque chose d’intéressant. Mais je vais vous décevoir, car malgré tous mes efforts je n’ai rien à vous présenter. Et ceci pour une bonne raison, enfin je crois. Pour me faire pardonner, je vais vous la conter.

J’appris jeudi passé que je devais pour aujourd’hui vous narrer l’histoire de mon objet favori.

Et dès les premières minutes, je me creusai la tête afin de trouver une idée. Je réfléchis durant l’entier de la journée, mais aucun objet ne me venait à l’esprit. En arrivant chez moi je m’assis à mon bureau et je balayai du regard ma chambre, mais aucun objet ne me sautait aux yeux.

Je m’imaginai alors diverses situations. L’une d’elles était que la maison serait en train de bruler, et dans ma fuite je pouvais prendre un objet afin de le sauver de son destin tragique.

Mais une nouvelle fois, vous vous en doutez : mes efforts furent vains. Je me couchai alors sur mon lit de désespoir, en me disant déjà que je n’aurais jamais d’objets à vous présenter et que je me ferai sûrement humilier aujourd’hui. Je me rappelai alors de ce que disait un grand humoriste français Raymond Devos. Il aimait répéter :

Quand on n’a rien à dire, c’est trop facile de se taire, moi quand je n’ai rien à dire je veux qu'on le sache.

Me voilà donc sans rien. Mais il me reste approximativement 1 longue min 30 à parler avec vous.

Et puisque vous êtes obligé de m’écouter.

Eh bien je vais continuer (à parler). Mais au lieu de perdre notre temps. Nous pourrions peut-être profiter pour réaliser quelque chose de constructif. Je voudrais que vous preniez tous une feuille et sur cette feuille vous écriviez quelque chose qui vous vide l’esprit, qui vous fait pensez à rien, mais surtout si vous n’avait pas d’idée et bien écrivez le. Ça sera toujours mieux que rien. Et si vous le voulez bien, je voudrais que vous le fassiez aussi M. ...(mon professeur). Et quand tout le monde l’aura fait, quelqu’un s’il le veut bien lira sa feuille au reste de la classe. Je vous laisse quelques secondes, car le temps met compter. 

Monsieur .... (mon professeur), pouvez-vous nous lire votre feuille s'il vous plaît ? - J’ai écrit : rien

Ah j’avais l'espoir que vous diriez ça et je vous en remercie. Pour moi, communiquer, c’est réaliser un échange avec d’autres personnes. Je ne pouvais donc pas communiquer avec vous si j’étais le seul à parler. 

Et là, vous venez de m’aider à démontrer que l’on peut parfaitement communiquer à partir de rien et sur un sujet qui apporte à rien. Je vais donc finir là-dessus.

Les applaudissements retentirent, mais ceux qui raisonnèrent les plus forts en mon for intérieur furent les miens. Je m’étais prouvé à moi-même que je pouvais le faire, mais que surtout, poser une question à un professeur n’était pas si difficile.

Merci de m’avoir lu.

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J'aime bien @estoy ! De mon point de vue, tu as surmonté cet obstacle en demeurant fidèle à toi-même ... Une double réussite :)

ahah c'est vrai ! Merci pour ton message 😁

Bonjour,
j'ai découvert ton article presque par hasard ; puisque j'ai juste suivi les liens de mon vote fanbase...

Et là, rien à dire... Ou presque rien.

Juste un mot : j'adore !

:)

Belle journée.

Gribouille.

Hello ! Merci beaucoup pour ton message !

C'était pas un article facile à écrire... Ça fait super plaisir de lire ce genre de commentaire !

à bientôt !